Le procès du Général Mokoko: Une partition théâtrale de la justice congolaise

Le déroulement de ce procès qui semble notoirement être devenu un caillou dans la chaussure du Pouvoir, permet quelques éléments de critique qui apportent la preuve que notre système judicaire manque de fiabilité tant dans l’absence d’indépendance du système que dans la qualité de nos magistrats. Nos magistrats hantés par le carriérisme, sont désormais la honte de la République et ne peuvent espérer la confiance du justiciable. Commençons par la question immunitaire qui balise la fantasmagorie générale dans ce procès, ou ce qui en tient lieu. Il faut dire dès l’abord et de manière irréfragable, sous le sceau de la rigueur juridique, qu’il est excessif de prétendre que le Général Jean Marie Miche MOKOKO jouit de l’immunité de juridiction du fait de son statut de Dignitaire de la République. Une telle hérésie si elle est excusable pour le profane, il me paraît être une boutade pour un juriste.

Jamais un vocable n’a en effet été aussi galvaudé que celui d’« IMMUNITE », une notion dont les contours sont permanemment ignorés pour être détourné de son sens de lege lata pour lui affecter une teinte de lege ferenda et satisfaire ainsi des caprices politiques ici et là.

Avant que d’en dégager le sens au point de vue juridique, il sied de s’appesantir sur la définition du mot immunité. En médecine, l’immunisation est l’activation des défenses naturelles de l’organisme contre des éléments pathogènes, une substance nocive. Immuniser c’est donc protéger l’organisme animal contre une maladie ou une substance nocive ; la vaccination est une immunisation active. On dit en Droit que certaines personnes jouissent de l’immunité ; on parle notamment d’immunité familiale, d’immunité diplomatique, d’immunité parlementaire, etc. Devrait-on dire que ces personnes sont ainsi protégées contre les pénalités, qu’elles seraient ainsi vaccinées contre les pénalités ? Il n’en est rien ! En Droit, l’immunité ne protège nullement ces personnes des pénalités en cas de faute. L’immunité au point de vue juridique est le privilège conféré par une fonction ou un statut, permettant d’échapper à la juridiction ordinaire. Cette précision faite, venons-en au principe de l’immunité de juridiction.

La notion d’immunité de juridiction est en principe applicable exclusivement en Droit international public ; il s’entend de l’impossibilité absolue de poursuivre la personne qui en jouit devant les juridictions civiles ou pénales d’un autre Etat ; pour les Chefs d’Etat sous le sceau du sacrosaint principe ‘’par in parem non abet imperium’’ qui est le pendant du caractère sacré que l’on accordait jadis aux souverains et à leur autorité, c’est l’époque des monarchies de Droit divin : les souverains sont des êtres sacrés qui nécessitent donc un traitement préférentiel et sont de plus égaux entres eux. Cette immunité des Chefs d’Etat qui n’a jamais été consacrée par aucune Convention, est une simple coutume internationale par ailleurs, désormais mise en échec par le Traité de Rome qui a donné naissance à la Cour Pénale Internationale. Quand aux Agents diplomatiques Consuls non compris, on a, de tout temps senti le besoin d’en assurer l’inviolabilité sous le concept de l’exterritorialité attribué au père du Droit international, le publiciste hollandais Hugo Grotius : sancti habentur legati. Les Agents diplomatiques étant de nos jours les seuls qui jouissent toujours de l’immunité de juridiction couverte par une Convention internationale.

Le principe a récemment fait irruption en Droit interne pour caractériser la protection ou le privilège dont jouissent certaines catégories de personnes, soit pour l’ensemble des infractions qu’elles commettraient, soit pour certaines d’entre elles, privilège conféré par une fonction ou un statut, permettant d’échapper à la juridiction de Droit commun ; c’est le cas du Président de la République, des Parlementaires, des membres du Gouvernement, qui ne sont justiciables que devant une juridiction spéciale : la Haute Cour de Justice exclusivement pour les fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions et non pendant leurs fonctions, et pour le Chef de l’Etat, seulement en cas de haute trahison.

C’est le lieu d’éviter la lancinante confusion entre privilège de juridiction et immunité contre les poursuites. Ainsi que l’a écrit élégamment Joseph KATWALA KABA KASHALA Premier Avocat Général de la République près la Cour Suprême de Justice de la République Démocratique du Congo in  «L’action publique à travers les jurisprudences et doctrine congolaise, belge et française », paru aux éditions BATENA page 30 : les privilèges des juridictions et les immunités contre les poursuites, bien que tous institués par la loi ou par les textes particuliers au profit des individus, ne véhiculent pas le même contenu juridique. Il y a privilège de juridiction, lorsqu’en raison de l’infraction commise, une personne est soustraite aux règles ordinaires de compétences ratione materiae et ratione loci qui déterminent la juridiction compétente pour connaitre de cette infraction pour être assujettie au Juge déclaré compétent exclusivement en raison de la personne du délinquant. En revanche, il y a immunité lorsqu’une personne ne peut être poursuivie, arrêtée ou jugée ou qu’elle ne peut l’être qu’après accomplissement de certains préalables légaux, mais seulement par des juridictions sui generis.

Le privilège et l’immunité ne se confondent pas. Ils peuvent coexister, de même qu’ils peuvent se concevoir l’un sans l’autre. Le privilège de juridiction, relevant de la compétence et non de la procédure, vise la compétence « ratione personae » est instituée par le texte de loi organisant la compétence judiciaire et ce, sans préjudice des lois particulières. Quant aux immunités, celles-ci sont de l’ordre constitutionnel. Mais qu’en est-il du Général Jean Marie Michel MOKOKO ?

L’Ordre du mérite congolais a été créé par décret n°54-56 du 25 février 1959, signé du président Fulbert YOULOU. Il a été réorganisé par décret n°86-899 du 6 août 1986, pris par le Président Denis SASSOU N’GUESSO. Il est le plus prestigieux témoignage officiel de la reconnaissance de la République du Congo. Destiné à récompenser les actes éminents rendus à titre civil ou sous les armes par tout citoyen congolais ou étranger en faveur de la République du Congo ; il est décerné par le Président de la République, Grand Maître des ordres nationaux, à titre normal, à titre exceptionnel ou à titre posthume.

Pour l’avenir de ce texte notamment à l’occasion du procès du Général Norbert DABIRA, l’on n’a nullement besoin d’examiner si la Cour Suprême a été saisie par voie d’exception ou par la voie de recours en annulation. Sur les bords de l’Alima où règne en souveraine l’idéologie LEDZA LENWA, le ridicule ne tuant pas ici ; il suffi de constater qu’après avoir, pour les besoins de la cause Jean Marie Michel MOKOKO déclaré illégal le Texte du Décret n°2001-179 du 10 avril 2001 portant création et organisation du Conseil des Ordres Nationaux, passant outre cette décision de la plus haute juridiction judiciaire du pays, le Président de la République Denis SASSSOU NGUESSO, Magistrat suprême, violant ainsi sa propre légalité a, majestueusement malgré cet obstacle procédé à la décoration de l’ancien Président du Sénat à titre exceptionnel, le 2 février dernier à Brazzaville, pour d’éminents services rendus à la nation, ce qui redonne à ce texte toute sa vigueur.

 Simple constat de juriste, il faut dire que la réaction enthousiaste du Pouvoir dans cette affaire et singulièrement dans l’appréciation du fameux Décret connote la médiocrité de ceux qui entourent le Chef de l’Etat. Le Texte du Décret n°2001-179 du 10 avril 2001 portant création et organisation du Conseil des Ordres Nationaux confère au Dignitaire non une immunité juridictionnelle, mais un privilège une protection dans la procédure, verrou que les dispositions de l’article 11 du texte lui-même permettent de faire sauter. En effet, aux termes formels et précis de cet article : « Les dignitaires de la République bénéficient de l’immunité juridictionnelle. Tout citoyen élevé à une dignité dans les ordres du mérite congolais, du dévouement congolais ou de l’ordre de la paix ne peut être poursuivi ou arrêté sans l’autorisation du Conseil des ordres nationaux ».

Il faut dire que la rédaction parfaitement défectueuse du célèbre Décret devenu la cause de la palabre dans l’affaire dont s’agit, entretient une confusion par la faute des juristes rédacteurs du texte, confusion dont l’Officier Général, malin comme singe a su user comme un havre au grand dam du Pouvoir de Monsieur SASSOU et de ses Conseillers dont la condition subjective est l’unique valeur de recrutement.

Plutôt donc que de verser dans une querelle byzantine qui a fini par ravaler nos Magistrats de la Cour Suprême en un véritable orchestre de boute-en-train, tant la motivation de leur décision paraît manifestement sans fondement juridique, ces Magistrats aux ordres comme l’équipe chargée de conseiller le Chef de l’Etat auraient simplement du suggérer la réunion du Conseil des ordres nationaux prévu à l’article 3 du même Décret, aux fins de solliciter la levée de ce privilège de poursuites. Le Décret invoqué par le Général Jean Michel MOKOKO ne comportant aucune disposition prescrivant que le Dignitaire est justiciable d’une juridiction spéciale, les juridictions de Droit commun sont donc compétentes après la levée du verrou ; car la décision par laquelle la Cour Suprême de Brazzaville déclare illégal le fameux Décret, pose désormais un grave problème au niveau de l’Etat.

À ce jour en effet, on compte plus de 14.867 personnes qui ont reçu l’ordre du Mérite congolais dont des hautes personnalités étrangères parmi lesquelles des Chefs d’Etat à qui la République devra désormais expliquer par voie diplomatique que le Congo est un Etat voyou qui a jusque là, depuis 55 ans, décerné des distinctions sous la base d’un texte illégal, des distinctions désormais nulles.

Venons-en au fameux procès qui déteint à jamais la crédibilité de notre système judiciaire.

Il a été reproché au Général Jean Marie Miche MOKOKO de n’avoir pas invoqué son immunité de juridiction dans la phase d’instruction. Cette sotte observation qui relève de l’ignorance caractéristique des règles élémentaires de procédure pénale, ne mérite aucun débat. Il suffit simplement de rappeler au Pouvoir et à ses Magistrats sous oukases, qu’en matière pénale, le premier acte d’exercice de l’action publique est la décision de poursuivre. Pour décider de poursuivre ou non, le Parquet qui a le monopole de la poursuite doit impérativement examiner : la légalité d’une poursuite éventuelle, l’opportunité de celle-ci. Dans l’examen de la légalité de la poursuite le Parquet s’assure que les faits portés à sa connaissance tombent sous le coup d’une qualification pénale. Dans l’affirmative, il décide en quelle qualité la personne doit être poursuivie (auteur, co-auteur, complice). Il doit aussi s’assurer qu’il n’existe aucune cause d’impunité (fait justificatif, immunité, etc.…). Ensuite, il apprécie la recevabilité de l’action publique. C’est ainsi qu’il examinera s’il est compétent, s’il n’existe pas de cause d’extinction de l’action publique. Par ailleurs, il y a d’autres causes d’irrecevabilité ; ainsi certaines poursuites sont subordonnées à une plainte de la victime ou à une autorisation donnée par une assemblée, etc. S’il parvient à la conclusion que la poursuite envisagée est recevable et bien fondée, le Parquet examine si cette même poursuite apparaît opportune. Ces règles de procédure sont un pont aux ânes.

En matière pénale, la compétence, de façon générale, désigne l’étendue du pouvoir accordé par la loi à une juridiction donnée pour connaitre d’un litige relevant du domaine pénal. Une des caractéristiques majeures des règles qui régissent la compétence en matière pénale est qu’elles sont d’ordre public. Il est, en effet, de principe que nul ne peut être distrait de ses juges naturels. Il en découle, comme conséquences, d’abord que, les parties ne peuvent déroger aux règles de compétence par une sorte de compromis les permettant d’être par exemple attrait devant telle ou telle autre juridiction pénale de leur choix ; ensuite que le juge saisi d’une affaire pénale doit vérifier, et cela d’office, sa compétence et d’attribution et territoriale; enfin que l’exception d’incompétence peut être soulevée en tout état de cause, voire d’office. L’orthodoxie et le rigorisme de la procédure pénale et notamment les règles de compétence des juridictions pénales, porte d’entrée de la poursuite et de la répression des infractions ne sauraient à l’évidence s’accommoder avec la turpitude du corps de magistrature qui a choisi de se compromettre en faisant du serment du magistrat un serment d’ivrogne. Personne, même pas les Magistrats militants discrets de Parti politique n’est autorisé à jouer avec les règles fondamentales de la République.

L’autre observation qui témoigne du caractère arrangé du simulacre de procès, est l’absence convenue du célèbre pseudo Avocat Tony Gilbert MOUDILOU et ses comparses au procès ; il est de principe que faciliter ou provoquer intentionnellement la commission d’un crime ou d’un délit, voire d’une contravention, constitue un acte de complicité. Le complice participe par délégation à la commission de l’infraction. Il en résulte que l‘engagement de sa responsabilité pénale est subordonné à celui de l’auteur, risquant ainsi la même peine que lui. Selon l’homérique sentence du Doyen Carbonnier « L’auteur et le complice d’une infraction vont être cousus dans le même sac ». En effet, pour lui l’acte de complicité se rattaché à l’infraction elle-même et par conséquent, les deux individus engagent leur responsabilité pénale et doivent être réprimés. Le Pouvoir d’OYO qui s’est soigneusement refusé de faire la lumière de ce montage, a pris soin d’éloigner ces complices.

Enfin, nous serions dans un Etat de Droit, une question légitime se serait imposée : les écoutes téléphoniques vantées par les autorités policières du Pouvoir et abondamment étalées à l’audience par l’Officier de Police ont elles été obtenues sur mandat de Juge ?

Daniel NKOUTA

3 thoughts on “Le procès du Général Mokoko: Une partition théâtrale de la justice congolaise

  1. Mr Daniel Nkouta, je vous salue, et je salue votre texte. Je pense sur ce site, vous êtes l’un des compatriotes qui maitrise bien les arcanes de l’histoire politico judiciaire de notre pays. Depuis 1978 avec l’affaire Ngouabi, 1982 avec l’affaire Ndalla, 1986 avec l’affaire Tsystère Tchicaya, 2005 avec l’affaire du beach, 2013, avec l’affaire Tsourou et maintenant 2018 avec l’affaire moukoko, il y a quand meme lieu que vous essayez de nous proposer une synthèse judiciaire pour montrer comment sassou nguesso a perverti le système judicaire du pays. Car toutes ces affaires ont Sassou Nguesso comme acteur principal qui manipule tout. Le proces de moukoko comporte beaucoup d’irregularités comme vous l’avez montrer. Mais l’esprit est le même envoyé des innocents au « Petit Matin ». en 1977/1978 le Petit matin cétait la tombe, maintenant c’est la prison sans exclure la tombe ( Cf Marcel Ntsourou).

  2. ’par in parem non abet imperium’’ je pense que ce principe juridique est plutot « par imparem non habet imperium’( entre les egaux, il n ‘ya pas de droits préférés,

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