Congo 2021 : Mokoko président ? Et si l’on s’arrêtait au bord du gouffre…?

Un pays à la croisée des chemins

Depuis 2014, le Congo avance de crise en crise vers un gouffre. Le pays a d’abord dû faire face à la chute brutale et durable du cours du pétrole qui a plongé l’économie dans une situation catastrophique. En octobre 2015, c’est le changement malencontreux de la constitution qui déclenche une grave crise politique avec de nombreux morts au bilan. En mars 2016 c’est au tour de l’élection présidentielle de déstabiliser le pays suite aux résultats contestés qui ont conduit à la nième guerre du Pool et à un mandat paralysé. Et comme si cela ne suffisait pas, à la veille d’une année électorale cruciale, le pays est confronté à une pandémie aux effets dévastateurs sur le tissu économique et social. Si l’on ajoute à ce sombre tableau une gouvernance calamiteuse  et endémique, rien d’étonnant de constater que le pays soit au bord du gouffre.

Une situation révolutionnaire ou explosive?

Que l’on soit partisan ou adversaire du léninisme, il est facile de se rendre à l’évidence que la situation du Congo ressemble à s’y méprendre à ce que Lénine qualifiait de crise révolutionnaire. Les marxistes défroqués du PCT semblent avoir oublié leurs classiques qu’ils feraient mieux de revisiter avant de plonger le pays dans l’abîme. Dans La Faillite de la II^e Internationale, Lénine décrit comme suit les indices d’une situation révolutionnaire:

1. « Impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée ; crise du sommet, crise de la politique de la classe dominante ; […] que la base ne veuille plus vivre comme auparavant et que le sommet ne le puisse plus. »
2. « Aggravation, plus qu’à l’ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées. »
3. « Accentuation de l’activité des masses. »

La faillite de l’Etat

L’Etat congolais est au bord de la banqueroute. Sassou a longtemps fermé les yeux sur la gabegie, encourageant par son silence l’impunité totale à l’égard de ceux qui l’entourent et qui se livrent aujourd’hui encore à la délinquance économique. Il se trouve pris au piège de son propre système: Je vous accorde l’impunité totale si vous me devez une fidélité absolue. Lui qui, au sommet de sa gloire, accordait les yeux fermés des crédits dans des conditions douteuses au Niger, à la Côte d’Ivoire, au Togo, à la RCA etc, n’arrive plus à fermer les yeux la nuit à la fin de chaque mois. Pour conserver la paix sociale, il a avoué être obligé de se livrer à des numéros de haute voltige afin de payer par tranches les salaires de la fonction publique. Incapable de satisfaire une seule des 48 exigences du FMI pour accéder à des facilités de financements, incapable d’emprunter sur le marché international pour financer la relance et la diversification de l’économie, son gouvernement en est réduit à des rafistolages honteux consistant à réinjecter par des opérations scabreuses dans le trésor public des sommes dont la traçabilité échappe à toute orthodoxie financière.

Révolution ou évolution ?

Tous les ingrédients d’une révolution sont donc en place. Les gouvernants ne savent plus contenir la grogne populaire comme à Nkayi ou à Pointe-Noire, les gouvernés ne peuvent plus supporter ce qu’ils ont toléré depuis des décennies.

Au sommet du pouvoir, une lutte de succession qui ne dit pas son nom fait rage et ravage la famille politique et biologique du président. Les rumeurs de coups d’Etat de palais s’enflent. Signes avant-coureurs d’une déflagration ou tentative de contenir une situation de plus en plus incontrôlable? Une chose est sûre, en l’état actuel la moindre étincelle pourrait conduire à une déflagration dévastatrice. Le Mali a connu son coup d’Etat, La Guinée et la Côte d’Ivoire rentrent progressivement dans la zone de turbulence. Dans ces trois pays, les gouvernants n’ont pas voulu lire les signes du temps et écouter la colère du peuple. Refusant la sagesse de l’évolution, ils ont préféré entrer dans l’ébullition révolutionnaire, espérant en sortir vainqueurs. Hélas…

Une énième concertation-bidon ou un sursaut national ?

C’est dans ces conditions que le pouvoir de Brazzaville vient de lancer à la va-vite le surprenant projet d’une concertation politique à Madingou en novembre 2020. La ficelle est tellement grosse…

Habitué à rouler ses adversaires dans la farine à Ewo, Dolisie, Sibiti etc., le pouvoir compte-t-il sur l’efficacité de ses méthodes qui ont fait leurs preuves ou prend-il le risque d’une vraie ouverture politique comme en 1991? Ayant longtemps ignoré les appels de l’opposition à un dialogue sans exclusif dont le but serait de décrisper la vie politique et relancer le processus démocratique avec en ligne de mire une alternance pacifique au sommet de l’Etat, le PCT se croit obligé d’anticiper afin d’éviter l’effondrement programmé. Ce retour tardif au bon sens ne trompe personne. Il a cependant l’avantage de prouver la fébrilité du pouvoir et surtout son aveu de faiblesse. En effet, le vrai souci du PCT n’est pas une élection qu’il sait perdue d’avance, mais qu’il remportera au premier tour comme d’habitude. Son vrai problème est comment gérer une énième victoire à la hussarde et attirer en même temps les compétences dont il a cruellement besoin pour essayer de résoudre le désastre occasionné par des décennies de pillages de l’économie nationale.

Comme nous l’avions déjà souligné par le passé, le PCT peut tricher sur tout, mais il se sent impuissant face à son plus grand opposant: L’incompétence dans la gestion de l’économie nationale.

Trop peu et trop tard ou réelle volonté de surmonter une crise multidimensionnelle?

L’opposition qui a longtemps exigé sans succès un vrai dialogue, semble prise de cours et a le droit d’être suspicieuse et inquiète. Elle a beau jouer le rôle de faire-valoir du pouvoir, ou d’une radicalité inefficace, aujourd’hui face à la ruse de son adversaire, sa responsabilité est totale. Le peuple qui lui a fait confiance en octobre 2015 et mars 2016 la regarde avec défiance et méfiance.

A priori, le PCT doit se sentir en terrain conquis face à une opposition en lambeaux. Que pèse aujourd’hui une opposition qui a été incapable de désigner un candidat unique en 2016? Qu’attendre d’une opposition qui a été incapable de revendiquer sa victoire en 2016? Que penser d’une opposition qui, sans obtenir la moindre révision du fichier électoral, la biométrie, la libération des prisonniers politiques, etc. se lance déjà en rangs dispersés dans une course perdue d’avance?

Sans réel sursaut politique, à 5 mois d’une échéance majeure, la débâcle de l’opposition est donc clairement annoncée. D’autant plus qu’à la cacophonie de l’opposition interne, il faudra sans doute ajouter les ambitions irréalistes de la diaspora, convaincue que l’opposition interne ne vaut rien pour avoir lamentablement échoué en 2016. Sauf que cette diaspora totalement divisée et qui se déchire à l’envi, compte aller en rangs encore plus dispersés que l’opposition interne. Convaincue que sa docile ‘’opposition’’ interne et externe ne pèse pas grand chose, le PCT croit avoir la situation en main et un boulevard devant lui.

L’opposition face à une responsabilité historique

Le pouvoir arrive donc trop tard et avec une maigre offre connue d’avance et qui est donc loin de satisfaire le peuple et de soulager sa misère. Dans ce contexte, la concertation de Madingou n’est ni plus ni moins du plâtre sur une jambe de bois, un maquillage grossier qui ne trompera personne, même pas ses promoteurs. Il s’agit en fait de l’habituelle poudre aux yeux destinée à amuser la communauté internationale et à faire du shopping politique au passage: débaucher quelques figures de l’opposition et de la diaspora à embarquer dans un projet de faux gouvernement d’union nationale destiné à faire avaler la pilule d’une escroquerie savamment programmée dans les officines du PCT.

L’opposition peut-elle cependant rejeter en bloc une concertation qu’elle a toujours demandée sans donner au pouvoir l’occasion de la diaboliser en la traitant de fantaisiste et d’inconstante ? Quelle que soit la position adoptée par l’opposition, elle en assumera les conséquences. Aller à la concertation sans obtenir de substantielles concessions du pouvoir équivaudrait à une capitulation en rase campagne. Refuser d’y participer au motif que les dés seraient pipés, c’est donner du pain béni et du grain à moudre au PCT.

Participer à la concertation en exigeant un consensus à minima  

Le PCT, avec monsieur Sassou Nguesso à sa tête, a plongé le pays dans une situation catastrophique sur le plan politique, économique et social. Le pays est au bord du gouffre. Il est plus conscient que tout le monde de son incapacité à le sortir tout seul de l’ornière. La concertation proposée serait donc un stratagème pour sauver les meubles et surtout le soldat Sassou.

Dans un pays normal, Sassou et son équipe devraient être balayés par une puissante révolte populaire. Il en est conscient et se demande certainement chaque soir au moment d’aller se coucher s’il se réveillera et enfilera son costume présidentiel le lendemain. Il est même fort probable qu’il souhaite secrètement un bon coup d’État de palais lui épargnant la vie.  Mais sachant ce qui est arrivé à Ngouabi, il hésite….

Une vraie concertation devrait donc aboutir à un consensus national. La pierre d’achoppement étant l’élection présidentielle,pour faire la différence et relever le défi, l’opposition doit y arriver unie et au moins avec un cahier des charges cohérent dans lequel figure un minima sans l’obtention duquel le résultat de la concertation serait considéré comme nul et sans effet. Il ne s’agit pas de préalables qui constituent souvent un blocage inutile à un vrai dialogue indispensable au bon fonctionnement de toute société civilisée. Après les échecs d’Ewo, Dolisie et Sibiti, l’opposition gagnerait à prendre ses responsabilités en allant en rangs serrés et avec un engagement face au peuple. ‘’ Si nous n’obtenons pas les points suivants….les résultats de la concertation ne nous engagent absolument pas’’

Le cahier des charges, une feuille de route de la population à l’opposition

L’opposition n’est rien sans le peuple. En démocratie, le politicien est un mandataire du peuple. C’est donc au souverain primaire de prendre ses responsabilités et d’envoyer ou pas les opposants en mission à la concertation. Et si les desiderata du peuple ne sont pas satisfaits, c’est au peuple de valider ou non les résultats obtenus par l’opposition. C’est aussi au peuple de prendre son destin en mains. Si le mandataire n’est pas à la hauteur de la tâche, quoi de plus naturel que de reprendre le flambeau.

Mokoko président ?

Quels seraient les desiderata du peuple ?

Voici une liste non exhaustive de revendications qui pourraient figurer au cahier des charges.

1. L’élection de mars 2016 s’étant soldée par une fraude massive et une contestation ayant conduit à morts d’hommes, le bon sens élémentaire consisterait à déclarer Mokoko vainqueur automatique de la non-élection de 2021. La ferveur populaire lors des meetings de campagne ont montré à suffisance que Mokoko était le réel vainqueur. Sassou le sait mieux que quiconque, puisque ses services secrets possèdent les vrais résultats. La validation de la victoire de Mokoko nous ferait l’économie d’une élection en 2021. Les milliards ainsi économisés serviraient à la relance économique. Mokoko obtiendrait un mandat de 5 ans dont l’objectif serait une transition vers la démocratie au bout de laquelle il organiserait une élection libre et transparente à laquelle il ne serait pas candidat
2. Sassou président du sénat. Tout le monde sait que la hantise de Sassou est d’être traîné dans la boue avant d’être tué comme un malfrat. En le nommant ou élisant à la tête du sénat, il aura la garantie d’avoir la vie sauve et aussi de ne pas connaître le sort de Dos Santos. Il pourra prendre sa retraite à Oyo en laissant son vice-président assumer ses fonctions. Ce point est la concession capitale en contrepartie du point 1. Il va sans dire que les deux premiers points ne peuvent être obtenus que suite à une sincère réconciliation entre Sassou et Mokoko au nom de l’unité et de la paix nationales.
3. Un gouvernement de large union nationale dans lequel aucun membre actuel ne sera reconduit et dans lequel le PCT n’aura que 40% des postes. Un gouvernement réduit et dans lequel la compétence et la probité seront les critères décisifs. Sassou l’avait obtenu de Lissouba. L’opposition actuelle doit être capable d’exiger la même chose.
4. La libération de tous les prisonniers politiques sans exception.

Il ne s’agit là que de quelques propositions dont certaines peuvent sembler fantaisistes ou utopiques. Mes détracteurs ne manqueront pas au passage de souligner ma mansuétude à l’égard de Sassou. C’est une position que j’assume depuis 2014. Mais pour les rassurer, je répète qu’il ne s’agit que d’exemples de desiderata qui n’engagent que moi. S’ils peuvent inspirer, tant mieux. Si d’autres, plus raisonnables sont formulés, je m’alignerai volontiers, pourvu qu’ils viennent du peuple et aident le pays à se reconstruire.

Quand on veut sortir d’une crise, il y a des compromis sans compromission qu’il faut faire pour aboutir à un vrai consensus.

Madingou est-il une énième farce ou un dernier sursaut pour conjurer une déflagration programmée? Le Congo est sur un volcan qui peut exploser à n’importe quel moment. Ayons le courage de nous dépasser pour le sortir de la crise multidimensionnelle par un véritable consensus national.

                                                                                                                                 Pascal Malanda

                                                                                                                                 LE CONGO ETERNEL