
Honorables parlementaires,
Représentants du peuple au sein de la Nation congolaise, il est de votre devoir de veiller à la sauvegarde des libertés fondamentales, à la protection de chaque citoyen et à l’application de la Constitution que vous avez juré de respecter. Pourtant, votre silence assourdissant face à la dégradation profonde de la gouvernance et à la dérive autoritaire de notre État interpelle la conscience nationale.
Depuis plusieurs mois, la République du Congo assiste, médusée, à la montée d’une violence institutionnelle sans précédent. Là où la police républicaine devait assurer la sécurité publique dans le respect des lois, c’est désormais la Direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP), une unité militaire, qui s’arroge le droit d’imposer l’ordre par la force, dans les rues de Brazzaville et dans bien d’autres villes bientôt. Cette confusion des rôles et cette militarisation du maintien de l’ordre ont conduit à des exécutions sommaires, des disparitions, des tortures et des assassinats de jeunes Congolais, souvent issus des quartiers populaires, qualifiés de kulunas ou de bébés noirs.
Ces pratiques, qui s’apparentent à des crimes d’État, se déroulent dans une indifférence institutionnelle totale. Aucun débat parlementaire n’a été initié pour en examiner la légalité, aucune commission d’enquête n’a été mise en place, aucun ministre n’a été interpellé. Le peuple, lui, ne voit que des corps abandonnés, des mères en larmes, des familles terrorisées, pendant que ses élus observent, silencieux. Ce mutisme est indigne. Il devient, de fait, une forme de complicité morale et de non-assistance à peuple en danger.
Honorables parlementaires, il serait trop simpliste de réduire l’insécurité dans notre pays aux seuls actes des bébés noirs et des kulunas. L’insécurité au Congo est d’abord sociale, économique et institutionnelle. Elle naît du désespoir et de la pauvreté. Elle grandit là où l’État a déserté. L’absence de pouvoir d’achat, le chômage massif des jeunes, le manque d’hôpitaux dignes, la dégradation des écoles, la vétusté des universités, les salaires impayés, les arriérés de plus de cinquante mois pour des fonctionnaires et retraités abandonnés à leur sort, sont autant de bombes sociales que vous auriez dû désamorcer depuis longtemps. Voilà les véritables sources de l’insécurité. Là où il n’y a ni travail, ni éducation, ni justice, la violence devient un refuge, la rue un exutoire, et la répression une hypocrisie d’État.
Un gouvernement responsable aurait fait de ces fléaux sa priorité absolue. Il aurait mobilisé les moyens de la Nation pour redonner espoir à sa jeunesse, restaurer la dignité des travailleurs, reconstruire les écoles et les hôpitaux, garantir un salaire juste et régulier à chaque agent public. Mais hélas, au Congo, on préfère combattre les symptômes par la brutalité, plutôt que de traiter les causes par la justice sociale. On préfère traquer des enfants des rues plutôt que de lutter contre la misère et le désespoir qui les y ont jetés. Le rôle d’un parlementaire n’est pas d’être un spectateur docile du pouvoir exécutif, encore moins le témoin passif de ses dérives. Il est d’agir, de questionner, d’interpeller et, lorsque la République chancelle, de s’opposer. Le mandat parlementaire n’est pas un privilège, c’est un serment. Ce serment, aujourd’hui, est trahi.
Notre pays vit une crise morale et politique profonde, conséquence directe de la mal gouvernance, de la corruption systémique et de la concentration du pouvoir entre quelques mains. L’État congolais ne fonctionne plus comme une République, mais comme une propriété privée administrée au profit d’un clan. Les institutions, réduites à l’impuissance ou à la peur, se contentent de valider des décisions venues d’ailleurs. Le Parlement, jadis symbole de la souveraineté populaire, s’est mué en chambre d’enregistrement où la voix du peuple ne résonne plus.
Pendant que la misère gagne les foyers, que les jeunes s’enlisent dans le chômage et la désespérance, que les hôpitaux se vident de leurs médecins et les écoles de leurs enseignants, l’État préfère investir dans la répression plutôt que dans la vie. Le Congo devient une République sans République, une démocratie sans débat, un pays sans avenir.
Honorables parlementaires, jusqu’où laisserez-vous faire ? Où est votre conscience nationale ? Où est votre serment à défendre la Constitution, qui garantit la vie, la dignité et la justice pour tous ? Le droit à la vie, le droit à la sécurité, la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable, sont des principes non négociables. Aucun citoyen, quel qu’il soit, ne peut être exécuté sans jugement, encore moins par une unité militaire agissant en dehors de tout cadre légal.
Les jeunes que l’on tue aujourd’hui dans les rues de Brazzaville sont des enfants du Congo. Ce ne sont pas des ennemis de la Nation ; ils en sont les rejetons oubliés, victimes de la misère, de l’abandon social et de l’échec d’un système politique incapable de leur offrir une perspective. Les éliminer, c’est tuer l’avenir même de la République.
Vous qui siégez à l’Assemblée nationale et au Sénat, votre silence vaut approbation. Or, l’histoire jugera. Chaque génération porte la responsabilité de son époque. Vous êtes responsables, par votre inaction, de l’effondrement moral de l’État et du discrédit de la représentation nationale. Le peuple congolais, longtemps patient, commence à comprendre que la peur a changé de camp : elle n’habite plus les foyers, mais les consciences de ceux qui gouvernent. Car aucun pouvoir n’est éternel, aucune impunité ne dure toujours. L’histoire du Congo, de Massamba-Débat à Marien Ngouabi, de Biayenda à Ange Diawara, nous rappelle que les crimes politiques finissent toujours par rattraper leurs auteurs.
Aujourd’hui, l’heure n’est plus à la résignation mais à la refondation morale et à la renaissance républicaine. Vous, parlementaires, avez le pouvoir et le devoir de provoquer un sursaut national. Exigez la fin de la violence d’État. Demandez des enquêtes parlementaires sur les exécutions extrajudiciaires. Interpellez le gouvernement sur les dérives sécuritaires de la DGSP. Protégez la police républicaine de son effacement. Rétablissez la primauté du droit sur la force. C’est à ce prix seulement que vous retrouverez la légitimité perdue. Le Congo n’a pas besoin de nouveaux slogans, mais d’actes courageux. Il n’a pas besoin de discours sur la paix, mais de justice et de vérité. La paix ne peut se construire sur la peur ni sur les cadavres de ses enfants. Elle exige un État responsable, des institutions fortes et des élus conscients de leur mission.
Honorables parlementaires, l’histoire vous observe. Le peuple aussi. Vous êtes à la croisée des chemins : entre le devoir et la trahison, entre la dignité et le déshonneur. Vous pouvez choisir d’être les complices d’un régime en déclin ou les artisans d’un réveil national. L’avenir du Congo ne dépend pas seulement du pouvoir exécutif ; il dépend aussi de votre courage à dire non, à dénoncer, à agir.
Nous n’attendons pas des héros, mais des représentants fidèles à leur mandat. Nous n’attendons pas des discours, mais des décisions. Nous n’attendons pas la peur, mais la justice. Le peuple congolais vous regarde, il attend. Et il saura, demain, se souvenir de ceux qui auront choisi la vérité et le droit, comme de ceux qui auront choisi le silence.
Bernardin DILOU
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