
Il arrive que les faiblesses d’un système économique disent plus de vérité que ses réussites. La célèbre formule de La Rochefoucauld, «l’hommage du vice à la vertu», trouve aujourd’hui une résonance particulière dans l’économie mondiale. Appliquée aux trajectoires comparées des pays occidentaux et asiatiques, elle éclaire par contraste les choix qui s’offrent aux États africains à la recherche d’un développement durable.
Quand le vice reconnaît la vertu
En économie, le vice ne renvoie pas à une faute morale, mais à des déséquilibres structurels : gouvernance fragile, dépendance excessive à une rente, institutions faibles ou mal alignées avec les besoins de la population. Or, lorsque ces déséquilibres sont publiquement dénoncés, corrigés ou contournés, ils traduisent implicitement la reconnaissance d’un idéal : celui d’institutions solides, d’un État stratège et d’un marché productif.
C’est précisément ce que montrent, chacun à leur manière, les modèles occidentaux et asiatiques.
L’Occident : la vertu institutionnelle mise à l’épreuve
Les économies occidentales ont bâti leur prospérité sur l’État de droit, la protection de la propriété privée, la prévisibilité des règles et la régulation des marchés. Ces vertus ont favorisé l’innovation, l’investissement et la mobilité du capital humain.
Mais les crises financières, la montée des inégalités et l’érosion de la confiance publique ont mis en lumière les excès de la dérégulation et du court-termisme. Ces dérives constituent, paradoxalement, un hommage rendu à la vertu qu’elles avaient négligée : celle d’un État régulateur fort, capable de corriger les défaillances du marché et de préserver la cohésion sociale.
L’Asie : la vertu pragmatique de l’État stratège
À l’inverse, plusieurs économies asiatiques ont démontré qu’un État interventionniste, lorsqu’il est compétent et discipliné, peut accélérer la transformation structurelle. Planification industrielle, investissement massif dans l’éducation, partenariats étroits entre pouvoirs publics et secteur privé ont permis une croissance rapide et soutenue.
Toutefois, les limites de ces modèles, tensions sociales, contraintes sur les libertés économiques, dépendance à la demande extérieure, rappellent que la performance économique ne peut durablement se passer de transparence, d’inclusion et de contre-pouvoirs. Là encore, le vice rend hommage à la vertu qu’il lui manque.
Une leçon pour les États africains
Pour de nombreux États africains riches en ressources naturelles mais pauvres en diversification productive, ces expériences croisées offrent un enseignement clair : aucun modèle importé ne fonctionne à l’état pur. L’enjeu n’est pas de choisir entre l’Occident et l’Asie, mais de combiner leurs vertus.
Cela implique :
– des institutions crédibles et prévisibles, garantes de la confiance ;
– un État stratège, capable d’orienter l’investissement vers les secteurs porteurs ;
– une diversification économique fondée sur la transformation locale et le capital humain ;
– une gouvernance responsable, où la rente cesse d’être une fin pour devenir un levier.
Les faiblesses actuelles, dépendance aux matières premières, vulnérabilité budgétaire, chômage des jeunes, sont souvent perçues comme des impasses. Elles peuvent aussi être l’hommage involontaire rendu à une vertu encore à construire : celle d’un modèle de développement africain autonome, pragmatique et institutionnellement robuste.
Somme toute, dans un monde fragmenté, l’Afrique n’a pas à réinventer l’économie, mais à en tirer les leçons essentielles. L’hommage du vice à la vertu nous rappelle que les échecs observés ailleurs, comme ceux vécus sur le continent, ne sont pas des fatalités. Ils sont des signaux. Encore faut-il savoir les lire et surtout, agir en conséquence.
Charles Abel Kombo
Économiste et Observateur des politiques publiques