C’est une dérive révélatrice de la faiblesse des forces de défense et de sécurité dans une mission régalienne de police encadrée.
Seul un état d’exception décrété par le Président de la République en tant que Chef suprême des armées pourrait expliquer la mission en tant que force de police de la direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP), une force militaire, à la suite de rapports des différents services sécuritaires. Ceci s’expliquerait par le fait que le travail de police actuellement exécuté par la direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP), ce corps d’armée chargé de protéger le président de la République, est mieux équipée que l’armée, la police et la gendarmerie reléguées à un rôle secondaire dans un système dictatorial où seule la logique de survie du régime prévaut.
L’intervention récente de la direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP) à Brazzaville pour neutraliser les « Kulunas », ces « bébés noirs » qui terrorisaient la population, a été perçue par certains comme un regain d’autorité. En réalité, elle expose une faiblesse structurelle, qui est celle d’un État défaillant. Loin de constituer une avancée en matière de sécurité publique, cette action traduit une crise structurelle au sein des institutions de l’État.
Pourtant, l’article 93 de la Constitution congolaise dispose que : «Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées de manière grave et imminente et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation du Premier Ministre et des Présidents des deux chambres du Parlement. Il en informe la nation par un message. Le Parlement se réunit de plein droit en session extraordinaire. Le Parlement fixe le délai au-delà duquel le Président de la République ne peut plus prendre des mesures exceptionnelles ».
La légalité ne se décrète pas, mais obéit aux règles constitutionnelles.
Les pouvoirs d’exception du président ne s’appliquent que face à des menaces graves contre l’indépendance nationale ou les institutions. Ce recours à la direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP) révèle un désordre institutionnel profond. Au lieu d’agir dans le cadre de la Constitution, le pouvoir politique choisit l’exception permanente. Les « Bébés noirs », bien que violents, ne constituent pas une menace militaire ni une force insurrectionnelle. Le danger qu’il représente découle plus d’une défaillance sociale du gouvernement congolais que d‘une atteinte constitutionnelle. Pourtant, le pouvoir répond à cette urgence sociale par une réponse militaire, détournant ainsi l’usage même de la force publique.
Cette action est illégale au regard du droit national, et potentiellement condamnable au regard du droit international. Si demain le pouvoir se retournait contre lui, le général de brigade Serge Oboa pourrait être tenu responsable d’actes répréhensibles perpétrés sous couvert de « légalité ».
Une manipulation juridique au service du régime s’installe. Des voix susceptibles d’influencer l’opinion publique tentent de justifier cette opération en évoquant le lien administratif entre la direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP) et le ministère de l’Intérieur sa tutelle. C’est une lecture erronée, voire une manœuvre car ce lien ne transforme en rien la DGSP en force de police. Cette unité militaire d’élite reste une garde présidentielle, et non une institution au service de la sécurité publique en tant que force de police. Elle agit au Congo-Brazzaville comme une milice privée, instrumentalisée par le président, en dehors du cadre légal.
Utiliser la direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP) contre des civils revient à confondre les fonctions de l’État et celles du régime, à mélanger sécurité nationale et sécurité du pouvoir en place. Une confusion lourde de conséquences pour l’État de droit, déjà fragilisé dans un pays où la légalité semble n’être qu’une façade.
Ce débat met en lumière un mal plus ancien, systémique, qu’est un système de répression taillé sur mesure pour la conservation du pouvoir. Depuis des décennies, les textes constitutionnels sont élaborés pour légitimer le pouvoir, puis contournés quand ils entravent sa consolidation. La « sécurité nationale » devient un prétexte à l’arbitraire, l’exception se mue en règle, et l’autoritarisme en méthode de gouvernance.
Cette dérive touche également la fonction publique et l’armée. Dans un État de droit, le devoir de dire NON à l’illégalité est un acte républicain. Dans un régime autoritaire, la loyauté à l’homme fort remplace la fidélité à la Constitution. Ainsi, les fonctionnaires loyaux sont suspects, et les militaires fidèles à leur mission deviennent des instruments de la répression. L’exemple du général de brigade Serge Oboa en est l’illustration parfaite, car il ne remplit plus une mission de sécurité publique, il protège un pouvoir. La militarisation du pouvoir politique marque le recul de l’État de droit.
L’État ne peut devenir l’instrument d’une caste. Une telle confusion condamne tout espoir de démocratie et mine la légitimité des institutions. La vraie sécurité ne se construit pas dans la peur, mais dans le respect du droit.
Il est urgent de rappeler une vérité que les régimes autoritaires cherchent à faire oublier, le pouvoir est transitoire, l’État est permanent. Confondre les deux, c’est plonger le pays dans une spirale de répression, de peur et d’instabilité. Le Congo-Brazzaville n’a pas besoin de plus d’intimidation, mais de plus de justice et de justice sociale. Il lui faut des policiers mieux formés, une justice indépendante, une société civile protégée, et non des soldats dans les rues. L’État ne peut et ne doit se confondre à un clan.
Aimer le Congo-Brazzaville, c’est refuser les dérives, défendre la sécurité, mais au prix de la légalité républicaine. On peut critiquer le pouvoir sans être un ennemi de la République. L’immixtion de la direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP) dans les affaires de police ne démontre pas la force de l’État, mais plutôt son incapacité à garantir la sécurité du peuple sans bafouer le droit. La légitimité s’acquiert, elle ne s’impose pas en violant la Constitution.
L’urgence du phénomène des « bébés noirs » n’est pas militaire, mais sociale. Elle démontre la faillite d’un système incapable d’éduquer, d’intégrer et de protéger sa jeunesse, et au-delà tout son peuple.
Répondre par la force à une crise sociale, c’est en aggraver les causes. Le Congo-Brazzaville ne combattra pas les « Bébés noirs » avec des fusils, mais avec de l’éducation, de l’emploi et de la justice.
Notre pays ne peut être orphelin de justice. Tant que la Constitution ne sera pas restaurée dans les esprits et dans les actes, le pays continuera à fabriquer des orphelins de justice. Il est encore temps de rompre avec cette culture de l’impunité et du tout répressif. Les traumatismes de la guerre du 5 juin 1997 ne sont pas encore guéris, et pourtant l’histoire semble prête à se répéter.
Être responsable, c’est rendre des comptes. Et comme toujours, le temps est l’allié de la justice.
Patrice Aimé Césaire MIAKASSISSA
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