Un pays peut-il avancer si ses institutions cèdent leur rôle à des initiatives individuelles, parfois financées par l’argent public ? La question reflète une réalité inquiétante en République du Congo. Dans un contexte où la confiance citoyenne envers l’État est déjà fragilisée, l’émergence d’actions privées financées par des fonds publics pose un problème majeur : celui de la légitimité et de la crédibilité de l’action publique.
1- Le constat : un État en retrait
Ces dernières années, on observe une multiplication d’initiatives portées par des personnalités issues de la société civile, des associations ou même des cercles proches du pouvoir. Ces initiatives se présentent souvent comme des réponses concrètes à des besoins urgents : distribution de kits scolaires, actions caritatives, appuis ponctuels aux populations vulnérables, projets locaux de développement.
En soi, rien de répréhensible : dans une société vivante, les forces citoyennes et associatives sont appelées à jouer un rôle moteur. Mais au Congo, ce mouvement prend une signification particulière. Car là où l’État devrait être au premier plan – en matière d’éducation, de santé, de solidarité ou de développement local –, ce sont des acteurs individuels qui prennent la lumière.
Le glissement n’est pas anodin. Lorsque des citoyens cessent de voir l’État comme la première instance capable de répondre à leurs besoins et se tournent vers des personnes physiques ou des structures isolées, c’est la confiance même dans les institutions qui s’érode.
2- Un paradoxe troublant
Le paradoxe devient encore plus criant lorsque l’on découvre que ces initiatives « privées » ne sont pas si privées que cela. Nombre d’entre elles reposent en réalité sur des financements publics.
Autrement dit : l’État, plutôt que d’investir dans ses propres structures et de renforcer ses politiques publiques, choisit – ou accepte – de déléguer des moyens déjà limités à des initiatives individuelles. Une aberration qui soulève une question simple mais vertigineuse : pourquoi les fonds publics, collectés au nom de l’intérêt général, servent-ils à financer des actions individuelles, ponctuelles et souvent non coordonnées ?
La réponse est double. D’une part, cette logique permet à certains de capter la rente symbolique de l’action publique : apparaître comme bienfaiteur, protecteur, relais de solidarité, tout en utilisant des moyens qui ne leur appartiennent pas. D’autre part, elle illustre une défaillance structurelle : l’incapacité ou le refus de l’État d’assumer pleinement ses responsabilités.
Ce paradoxe alimente un cercle vicieux. Moins l’État agit directement, plus les citoyens doutent de sa capacité à répondre à leurs attentes. Plus les citoyens doutent, plus les initiatives privées se multiplient. Et plus elles se multiplient, plus l’État s’efface.
3- Les fractures créées
Cette dynamique n’est pas neutre : elle creuse au contraire plusieurs fractures qui menacent la cohésion nationale.
Une fracture institutionnelle
Lorsque l’action publique devient le masque d’initiatives privées, les institutions apparaissent faibles, inefficaces ou instrumentalisées. L’État se vide de sa substance : il cesse d’être perçu comme garant du bien commun pour devenir un simple pourvoyeur de ressources que d’autres redistribuent.
Une fracture sociale
Ces actions, par nature ponctuelles et ciblées, profitent rarement à l’ensemble de la population. Elles répondent à des besoins immédiats mais laissent intactes les inégalités structurelles. Ce sont souvent les mêmes cercles ou les mêmes territoires qui bénéficient de l’attention, tandis que d’autres restent durablement marginalisés. La société se fragmente, et l’équité s’éloigne.
Une fracture civique
À long terme, cette logique nourrit une profonde défiance citoyenne. Pourquoi croire encore en l’État, si ses propres ressources sont détournées pour alimenter des actions individuelles ? Pourquoi payer l’impôt, si celui-ci ne finance pas des politiques publiques claires mais des gestes éparpillés ? Ce doute ronge le lien civique et affaiblit la base même du contrat social.
4- Vers un sursaut fédérateur ?
Il serait réducteur de voir dans les initiatives privées une menace en soi. Dans toute démocratie vivante, le dynamisme citoyen et associatif est un atout. Les associations, fondations et personnalités engagées jouent un rôle précieux, notamment pour alerter sur des urgences sociales ou combler ponctuellement les vides laissés par l’administration.
Le problème n’est pas l’existence de ces initiatives, mais leur instrumentalisation et leur financement opaque. Lorsqu’elles sont financées par des fonds publics, elles cessent d’être des compléments et deviennent des substituts déguisés. Or, nul substitut ne peut remplacer la vision, la cohérence et la continuité que seul l’État est censé incarner.
Restaurer la primauté de l’action institutionnelle, ce n’est pas nier l’utilité de la société civile : c’est au contraire lui donner un cadre clair, un rôle complémentaire, et une articulation avec les politiques publiques.
5- Le prix de l’inaction
Si cette situation perdure, les conséquences seront lourdes. D’abord, une perte durable de confiance des citoyens envers leurs institutions. Or, une démocratie sans confiance est une démocratie fragilisée. Ensuite, une aggravation des inégalités sociales, car les initiatives individuelles, même bien intentionnées, ne peuvent répondre aux besoins collectifs de santé, d’éducation, d’emploi ou d’infrastructures. Enfin, une mise en péril de l’unité nationale : quand chacun agit de manière isolée, avec des ressources communes, la société se fragmente au lieu de se consolider.
Le prix de l’inaction est donc clair : l’effacement progressif de l’État, le renforcement d’intérêts particuliers, et l’affaiblissement du bien commun.
Conclusion : un sursaut nécessaire
La République du Congo a besoin d’un sursaut. Les initiatives privées et associatives peuvent être un levier précieux pour l’innovation sociale et la solidarité. Mais elles ne doivent pas se substituer à l’État avec l’argent de l’État.
Restaurer la primauté des institutions publiques, c’est restaurer la confiance, l’équité et l’unité nationale. C’est redonner sens à l’impôt, redonner force au contrat social, et replacer l’État au centre de la vie publique.
La question reste posée, plus urgente que jamais : où va le Congo, si ses institutions financent leur propre effacement ?
Il est temps que l’Etat reprenne son rôle central et qu’il restaure la confiance des citoyens dans les institutions de la République.
Lucas MABICKA
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